Un récent petit article du Figaro prétend nous faire revisiter le vocabulaire de la langue française et les “racines libertines” qu’il recèlerait.
En réalité l’article ne fait que présenter dix termes du 19ème siècle faisant référence à la prostitution, et ce uniquement féminine.
Est-il besoin de souligner la contradiction entre le terme “libertinage” qui, même s’il représente un esprit qui n’est pas le mien, évoque des rapports entre adultes consentants, échangisme etc., et la prostitution, milieu de servitude et de brutalité ? Et on peut aussi s’amuser du silence sur la prostitution masculine, elle aussi déjà fleurissante à l’époque. Je lisais un article sur la culture viking d’il y a plus de mille ans, on y apprend par existence l’existence d’un terme ad-hoc désignant la profession de prostitué masculin (très mal payée, nous indique la même source – Gunnora Hallakarva). Rien de cela dans le Figaro. D’une manière générale bon nombre de cultures, avant l’arrivée de l’influence des trois monothéismes, toléraient largement l’homosexualité – au Japon par exemple les samourais étaient assez largement bisexuels. La culture viking d’avant la christianisation aussi ne voyait pas l’homosexualité d’un oeil négatif, le terme “ergi” n’avait pas la connotation négative que lui ont donné les textes de l’époque de la christianisation, les sagas elles-même ayant été écrites à cette époque, sous l’influence d’un monothéisme qui avait besoin de nouveaux boucs émissaires pour se constituer une communauté de soutien. Le proverbe “svá ergisk hverr sem eldisk” peut en effet tout simplement être traduit “tout le monde devient plus aigri en vieillissant”, pas besoin d’émettre des hypothèses farfelues sur l’idée d’une culture de homosexualité passive des hommes âgés ; un tel proverbe est évidemment une réminiscence de la période pré-chrétienne. Il permet de donner un sens nouveau, plus simple, à ce terme d’ergi qui serait prétendument en rapport avec l’homosexualité… Et pour citer Maria Kvilhaug :
In short, during the Viking Age, there were men who did not mind being called “unmanly”, and who would not even be teased about it, because although they might have been considered “queer” (unusual), they belonged to a sacred category, what I would call a ”sacred queer” category. Ragnvald Rettilbeini, the son of Harald Hárfagri, was a seiðmaðr– a sorcerer, and although no record of “unmanly” behavior are known to us, his nickname rettilbeini could actually mean “feminine legs” or “welcoming legs” (in a passive, sexual way).
Bref, des hommes à la profession sacrée qui n’ont pas peur d’être vus comme “manquant de virilité”, et un “sorcier” dont le surnom signifie “jambes accueillantes” !
Pour terminer : je n’appelle en aucun cas à un “retour en arrière”. Dans toutes ces sociétés antérieures aux monothéismes (le Japon est un cas un peu à part… poreux au christianisme sans adhésion collective manifeste) l’homosexualité existe, mais dans des catégories spécifiques, avec un encadrement moral. Dans le Japon moderne il y a des prostitués hommes dans un système assez toléré, des mangas spécifiques par exemple, les statistiques indiquent également une opinion publique très tolérante, mais je n’enfonce pas des portes en disant que cela n’a néanmoins rien à voir avec la réalité de la bisexualité naturelle de tout être humain, évidente en comparaison avec les animaux, mammifères en particulier.
Et, si ça n’était pas évident : “We find that Scandinavian women in the rural periphery already had relatively good health and nutritional values during the Viking era and the medieval period thereafter. The corresponding value is 0.8 equality advantage for Scandinavian women, whereas in the rest of Europe most values fall in a band around 1.2 ratio units. This suggests that the currently high gender equality had a precedence during the Middle Ages.” (Valkyries: Was gender equality high in the Scandinavian periphery since Viking times? Evidence from enamel hypoplasia and height ratios, Laura Maravall Buckwalter, Joerg Baten, Economics & Human Biology 2019)