Aglietta et Orléan affirment, en s’appuyant sur Girard, que la monnaie est un bien polaire (qui attise les convoitises de toutes parts) : ce postulat revient à reformuler la théorie de Menger des institutions spontanées.
La monnaie, pour être un bien polaire, doit avoir la caractéristique de toute ressource selon Robbins : la rareté. Mais, si la monnaie est un bien polaire, alors on doit s’assurer qu’elle reste au centre des désirs, le législateur ne doit pas interférer → besoin d’une constitution économique. Si la monnaie n’est plus un bien polaire en raison de la croissance de la base monétaire, c’est le début de la crise mimétique qui se traduit par une course à la spéculation sur l’accroissement de la valeur d’autres marchandises qui pourraient prétendre au statut de liquidité suprême (sans n’être à ce moment autre chose que des rivaux mimétique indifférenciés). Par exemple : or, germanium, pétrole, lanthane, immobilier, terres agricoles…
Le marché est le lieu par excellence de la communication entre les individus (la « catallaxie » de Hayek). La monnaie est un bien polaire qui émerge spontanément comme moyen d’échange (Menger) mais la lutte contre la déflation (et plus généralement toute création de monnaie ex nihilo) conduit à une interférence qui, en rompant la dynamique, détruit l’institution marchande en séparant ceux qui étaient reliés par ce bien polaire. C’est une autre façon de dire que l’inflation, en rongeant les épargnes (ce miroir commun devant lequel chacun peut s’évaluer indépendamment du regard des autres), supprime l’individualité des hommes qui s’exprimait par cette accumulation du produit de leurs efforts et qui leur permettait de formuler des projets individuels d’investissement (ou de loisir) pour l’avenir. L’hyperinflation crée une crise mimétique car en supprimant ce miroir indépendant du regard des autres qu’est notre compte en banque, elle nous resoumet au regard des autres dans une compétition qui deviendra bien ce que Keynes lui-même définissait comme le concours de beauté, i.e. la spéculation sur la liquidité de telle ou telle marchandise alternative. Comme toute crise mimétique la violence y prendra forcément sa part.
Toute spéculation sur des marchandises « liquides » alternatives conduit à une surexploitation des ressources rares et à des surinvestissements en capital non reliés aux demandes des consommateurs.
P. Bagus (in The Austrian, 2016) remarque que la période allant de 1865 à 1893 aux Etats-Unis a été à la fois une période de déflation et de prospérité.
Il formule d’autres arguments :
– Les keynésiens ont toujours refusé d’expliquer en quoi la déflation était tragique
– L’inflation encourage la spéculation et donc les mauvais investissements
– Les grandes entreprises sont souvent très endettées et ont hautement intérêt à cette inflation permanente
→ Les bénéficiaires de cette redistribution sourde ont intérêt à faire de la propagande pour la défendre
Ce à quoi on peut rajouter :
– Les banques favorisent les amis des politiciens qui gagnent en effet de levier et gagnent sur le marché malgré leur manque de capital/d’idées neuves. En retour les politiciens ont intérêt à rendre service en préservant le système de l’émission permanente par le crédit privé
→ Ludwig von Mises expliquait déjà que ceci déforme en permanence le marché (J. Huerta de Soto rapporte que pour Albert G. Hart, Mises aurait été le premier inspirateur du Chicago Plan de Fischer ressuscité en 2012 dans un working paper du FMI). Les idées novatrices et les capitalistes sérieux sont évincés au profit de spéculateurs qui forcent à la course en avant : les capitalistes sérieux, les entrepreneurs innovants sont forcés à s’endetter à leur tour pour tenter de leur tenir tête.
→ Plus le temps passe plus la maladie ronge le corps social.
L’État est le principal bénéficiaire de la crise mimétique car il peut se poser en polarisateur alternatif des individualités dans un modèle de mobilisation du soi par l’engagement dans un processus révolutionnaire, le totalitarisme.
C’est un cas extrême, mais l’inflation permanente et les crises qu’elle cause justifie paradoxalement le retour permanent de la main de l’État dans la mesure où le privilège des banques n’est pas interrogé. Mises, dans sa critique du plan de Fischer (dans Human action), pointe du doigt ce privilège exhorbitant d’une juridiction spécifique, en dehors des règles du commerce normal. La fin des réserves fractionnaires (via la concurrence libre entre les banques et l’incitation que cela représente à la proposer de façon contractuelle) ne suffit pas, la banque doit être un commerce comme un autre et non un adjuvant des politiques économiques étatiques qui finance régulièrement l’État et ses intérêts, directement (par l’achat de bons du trésor, que Friedman voulait déjà supprimer) et indirectement (par la préférence accordée aux demandeurs de crédit qui proposent des programmes d’affaires favorables aux intérêts de l’élite politique). Aucune monnaie ne doit avoir cours légal.
Toute forme d’intervention de l’État dans l’économie permet à cette élite de défendre ses intérêts. Rothbard souligne que les décisions prises en matière d’antitrust sont souvent impossibles à anticiper pour les entrepreneurs en raison du caractère vague des règles et de la marge d’appréciation qu’elles accordent aux autorités (Power and Market, chap 3). Pour Rothbard ce caractère vague est délibéré. Un exemple simple est la question de la définition du marché sur lequel les autorités demandent aux entreprises de ne pas occuper de position dominante. Les marchandises et les désirs des consommateurs, l’existence ou non de biens de substitution, reste une matière fondamentalement humaine et donc inaccessible à autrui. Il est impossible d’anticiper à ma place quels biens je suis prêt à échanger pour quels autres (et donc identifier ce « marché » sur lequel une entreprise n’est pas sensée avoir une position dominante).
Le comportement des consommateurs, de plus, est très évidemment affecté par la spéculation permanente liée au contexte inflationniste. La peur des monopoles ne serait plus la même si l’épargne individuelle et l’innovation étaient les vrais moteurs de l’économie. L’antitrust est un pis-aller qui a séduit des organisations politiques d’inspiration libérale comme la Commission européenne face à un problème qui est en réalité causé par le pouvoir des banques et l’encouragement qu’il donne aux grandes entreprises en place. L’ordolibéralisme est une solution de second ordre par rapport à la remise en cause des réserves fractionnaires et à sa conséquence naturelle, la déflation. Par ailleurs, l’antitrust freine naturellement l’innovation, comme l’a déjà montré Schumpeter (ce qui est en partie confirmé empiriquement par R. Griffith). Passer du libéralisme classique de Mises à l’ordolibéralisme conduit à introduire des frictions sur le marché et à donner du pouvoir à l’État pour y intervenir contre les intérêts privés, ce qui est déjà une forme de socialisme. Ces frictions en elles-même affectent la productivité des agents privés et joue donc dans l’intérêt de ceux qui appellent de leurs vœux une intervention toujours plus importante de l’État sur le marché, ce qui ne peut conduire en retour qu’à une montée aux extrêmes (au sens de Mises dans Human Action et de Girard dans Achever Clausewitz) qui se traduira au final soit par de l’inflation (dans le cas de la monétisation d’une dette publique improductive), soit par la guerre (dans des stratégies de protectionnisme économique, et Bastiat disait que « là où les marchandises ne passent pas les frontières, les soldats finiront par le faire »), voire les deux.